
ILS PARLENT DE NOUS
19 février 2025… que tout le monde connaît sous le nom de JD
Son parcours est une ode à la persévérance.
Parti au volant d’un camion en 1998, il a mené, d’une main de maître, la rénovation du Musée Bonnat-Helleu.
Au-delà du chantier, vous allez découvrir un chemin façonné par le travail, nourri de curiosité et forgé par l’art de s’adapter.

Depuis combien de temps faites-vous partie de l’équipe de la SAS Jean Goyty ?
J’ai commencé en intérim en 1998 avant d’être embauché par Jean Goyty en 2000. J’ai débuté comme chauffeur-livreur, puis je suis passé à la pose de plâtre en 2006.
Comment passe-t-on de chauffeur-livreur à responsable du chantier du Musée Bonnat… ?
À l’origine, j’ai même fait des études de mécanicien cycle et motocycle, mais je n’avais pas la tête au travail à ce moment-là (sourire). J’ai dû me réorienter, trouver rapidement du travail.
Après mon service militaire, j’ai travaillé pendant quatre ans comme chauffeur-livreur en messagerie express. Ensuite, en intérim, j’ai enchaîné divers petits boulots : maçonnerie, manœuvre, nettoyage de chantier… Puis un jour, l’agence d’intérim m’a proposé un poste de chauffeur-livreur chez « Goyty ». Et j’avais besoin de travailler, donc en avant.
Vous ne pensiez pas y rester aussi longtemps ?
Pas du tout ! Je me disais toujours : « Je ne vais pas y rester, je ne vais pas y rester… »
Et pourtant, cela fait maintenant 27 ans que je suis là !
À quel moment avez-vous commencé à travailler dans le plâtre ?
En 2006. J’avais envie d’évoluer et d’apprendre un métier plus concret, avec plus d’avenir. J’ai donc demandé à Jean Goyty de passer à la pose de plaque de plâtre. Il n’était pas très enthousiaste au départ, car il savait qu’il serait difficile de trouver un autre chauffeur-livreur. Mais j’avais déjà huit années de métier et le physique commençait à fatiguer un peu. J’ai insisté et j’ai fini par obtenir ma chance. J’ai commencé par être magasinier au dépôt et ensuite je suis passé sur le chantier.
Comment s’est passée cette transition ?
Le premier chantier que j’ai réalisé, c’était avec Sylvestre à la Maison des Associations à Bayonne. J’ai vécu cette expérience comme une formation super accélérée.
Cependant, en tant que magasinier, j’avais un énorme avantage : je connaissais déjà parfaitement les matériaux et leur utilisation. J’étais aussi très observateur et posais beaucoup de questions aux collègues expérimentés. Petit à petit, j’ai appris à maîtriser les techniques, à comprendre l’utilité de chaque élément et à les mettre en œuvre sur le terrain.
Vous avez appris sur le terrain, finalement ?
Oui, exactement. J’ai beaucoup appris aux côtés de Sylvestre. Et puis, quand il n’y avait pas de livraisons à faire, j’allais parfois donner un coup de main sur les chantiers.
En parallèle, je faisais aussi du placo chez moi ou avec des amis. J’aimais bien ça, et je trouvais que je ne m’en sortais pas trop mal. Comme pour tout, quand un métier vous intéresse, vous y mettez du cœur et vous progressez naturellement.
Comment êtes-vous passé de plaquiste à chef de chantier ?
Ça s’est fait progressivement. Quand j’ai terminé en tant que livreur, j’avais déjà un niveau 3P2 (plaquiste expérimenté), donc j’étais presque chef d’équipe.
Après notre chantier à la Maison des Associations, nous avons enchaîné avec la maison de retraite à Iholdy. Là-bas, j’ai demandé à mon collègue si je pouvais gérer le chantier. Il m’a laissé faire, mais je lui ai demandé d’être en soutien si j’avais un problème.
Lorsqu’il est parti quinze jours en vacances, j’ai continué à gérer le chantier seul. Ça a prouvé à Jean Goyty que j’en étais capable, et il m’a nommé chef d’équipe.
Comment a été perçue cette évolution supersonique par vos collègues ?
Pas toujours très bien. Quand vous devenez chef d’équipe un an après avoir quitté la livraison, certains vous regardent de travers : « Tu te fiches de nous ? Ne me dis pas que tu sais bosser avec seulement 1 an d’expérience ! »
Certains l’ont bien accepté, d’autres moins. Il a fallu s’imposer, prouver ses capacités. Mais finalement, ça s’est bien passé.
Ensuite, j’ai commencé à gérer et superviser des chantiers de plus en plus gros et de plus en plus spécifiques comme Turboméca, le Connecteur à Biarritz, l’agrandissement de BAB2…
Quels étaient les défis de ces grands chantiers ?
Turboméca, par exemple, c’était un chantier très technique. J’étais sur les plafonds démontables avec des dalles de différentes tailles (30×30, 40×40, 60×120…), dans un bâtiment immense de 100 mètres par 100 mètres. Tout devait être parfaitement aligné avec les bureaux, en intégrant les éclairages et la climatisation. Un vrai casse-tête !
Le Connecteur à Biarritz, c’était aussi un gros chantier. Le problème avec ce genre de défis, c’est que le temps est difficilement évaluable, en raison des contraintes du terrain.
C’est difficile d’anticiper les délais ?
Oui. Regardez ici au Musée Bonnat-Helleu. Quand vous travaillez à 8 ou 10 mètres de haut, les conditions ne sont pas les mêmes qu’au sol. Malheureusement, tout ne peut pas être calculé à l’avance, et certains délais sont sous-estimés lors de l’étude.
Quels ont été les principaux obstacles sur le chantier du Musée Bonnat-Helleu ?
Les principaux obstacles sont la hauteur sous plafond et la manutention. L’accès aux postes de travail est souvent compliqué, et le travail physique est parfois très pénible. Mais le plus grand défi reste, comme souvent – pour ne pas dire comme toujours -, de bien réfléchir en amont pour ne pas être pris de court plus tard. Je suis quelqu’un qui aime que tout soit bien préparé, que tout soit carré. Ça m’a permis d’éviter des imprévus et de travailler dans de bonnes conditions.
Quelles sont les étapes, quand vous démarrez un chantier ?
Je travaille avec Manu, le coordinateur des travaux. Il m’envoie les plans sur tablette, et Jérémy s’occupe du chiffrage.
Ensuite, Manu, Christophe ou Hugo organisent le chantier en précisant les matériaux nécessaires.
Mais ici, cela s’est passé différemment ?
Oui. En analysant leur calcul, j’ai compris que ce n’était pas optimal. Il y avait des paramètres terrain qui n’avaient pas pu être pris en compte lors de l’étude. J’ai proposé une autre approche, plus efficace en temps et en coût, tout en respectant les normes.
Il y a donc un écart entre le plan et la réalité du terrain ?
C’est normal ! Le papier, c’est une chose, mais sur place, il faut savoir s’adapter.
C’est au pied du mur qu’on voit le maçon, dans ce cas, le plâtrier (rires).
Quelle a été votre première réaction en arrivant au Musée Bonnat-Helleu ?
« Ouf, les hauteurs ! » Je me suis demandé comment nous allions nous y prendre. De plus, entre les retours des réunions de chantier et la réalité du terrain, il y avait des incompatibilités. Dès lors, j’ai travaillé avec l’architecte pour trouver les meilleures solutions.
Il faut savoir s’adapter ?
Exactement. Sur le chantier, il faut s’adapter. Ici, il a fallu tout calibrer, recalibrer, tenir compte des alignements des murs. Nous ajustons en permanence pour que tout soit bien d’équerre. Nous avons dû composer avec l’existant tout en respectant les exigences de l’architecte et des normes de sécurité d’un établissement recevant du public.
Combien êtes-vous sur le chantier ?
Entre 13 et 15 personnes.
Pouvez-vous rappeler le déroulé du chantier ?
Il y a eu une première partie, moins technique que celle-ci. Il s’agissait surtout de la partie Musée, où la gestion de la lumière était primordiale avec beaucoup d’éclairages spécifiques. Elle a duré neuf mois.
Et la deuxième phase ?
Nous avons démarré en juin 2024, à deux, pour préparer, mesurer et implanter. Après un mois de préparation, les équipes sont arrivées progressivement. Idéalement, nous aurions dû être dix minimum dès le début, mais ce n’était pas possible. Les maçons n’avaient pas terminé certaines démolitions donc tout le chantier n’était pas prêt à nous recevoir.
Le fameux timing chantier ?
Oui, il faut s’adapter à l’enchaînement des corps de métier. Les étapes de maçonnerie étaient nombreuses et demandaient du temps : casser, coffrer, laisser sécher…
La finalité est que nous avons dû monter et démonter les échafaudages plusieurs fois. Nous travaillions là où nous pouvions. C’est une perte de temps énorme sur ce type de chantier.
Je me doute qu’un chantier si important est énergivore, c’est une belle preuve de confiance de la part de la direction de vous donner les clés du Musée Bonnat-Helleu. Comment l’avez-vous vécu ?
Honnêtement, je pensais que ce genre de projet serait une expérience unique dans ma carrière, quelque chose que je ferais une seule fois. Mais je me suis dit qu’il fallait que je le fasse, que j’avais des choses à me prouver et des compétences à développer. J’aime l’idée de relever de nouveaux défis, de sortir de ma zone de confort. Je ne veux pas m’ennuyer dans mon travail. On peut croire que le placo, c’est de la routine, mais les chantiers eux sont tous uniques. J’aime avoir le sourire en arrivant sur un chantier. Je pars de ce principe et j’essaye de le transmettre à l’équipe sur le chantier. Ce n’est pas tous les jours facile, tu montes, tu démontes des échafaudages, tu portes des plaques…
Mais qu’est-ce que c’est valorisant de voir le résultat à la fin du chantier.
Voyez-vous votre travail différemment après ce chantier ?
Oui, absolument. Si chaque chantier est unique, il y a des tâches répétitives, mais il faut voir chaque journée comme une opportunité de grandir. Même si le travail peut être difficile et parfois monotone, il faut savoir l’aborder avec le sourire et un état d’esprit positif. Et c’est ce que je tente de transmettre à mes collègues : rester motivés, même quand les journées sont compliquées.
Ce chantier a-t-il répondu à vos attentes ?
D’un point de vue personnel, oui. Travailler dans un lieu destiné à l’art et à la culture, avec une touche un peu plus créative que d’habitude, m’a vraiment intéressé. Bien sûr, je ne m’attendais pas à ce qu’il soit facile. Quand j’ai vu les premiers plans, j’ai été un peu perdu. Je n’avais jamais travaillé sur des projets aussi complexes techniquement. Mais j’ai dû m’adapter et, avec le temps, j’ai appris à me familiariser avec les plans 3D, à comprendre les détails techniques que je ne maîtrisais pas au début. Aujourd’hui, je suis satisfait de l’évolution que ce projet a représentée pour moi.
Allez-vous vraiment ressentir cet avant/après Musée Bonnat-Helleu ?
Oui, clairement. Je pensais déjà bien maîtriser mon travail, mais j’ai énormément appris. D’abord sur moi-même, puis sur la manière d’aborder des situations inédites. Souvent, il n’y avait pas de solution toute faite : c’est nous qui les inventions. Personne du bureau ne nous disait quoi faire. Je proposais une méthode, et on la validait.
J’ai passé des heures à réfléchir pendant que les collègues avançaient ailleurs. Pour moi, dans un chantier comme celui-ci, il faut toujours avoir un temps d’avance. Ne jamais arriver devant les gars sans savoir quoi faire. Quand je me présente, tout est déjà pensé. Cela étant, je reste ouvert : si quelqu’un a une meilleure idée, je prends. (silence)
Quand je vois le résultat final, je me dis que ça valait le coup.
Quand vous parlez des collègues, vous voulez dire uniquement en interne, ou aussi les autres corps de métier ?
Les deux. D’abord en interne, mais aussi avec les autres. Sur un chantier tu es en dialogue permanent avec tous les autres corps d’état. Avec les électriciens, par exemple, pour intégrer les luminaires à nos cloisons. Il fallait s’accorder avec eux. Ensuite il y a la plomberie, la maçonnerie, etc.
Donc oui, il faut anticiper sans cesse. Quand tu entres dans une pièce, il faut faire un maximum de choses avant de ressortir : très vite l’espace est encombré par les échafaudages, le matériel, les autres entreprises.
C’est aussi grâce à l’échange qu’on trouve des solutions ?
Oui, ça arrive que l’on trouve des solutions intelligentes (rires). Pour les murs d’exposition, par exemple, au départ ils voulaient mettre du métal entre deux plaques de plâtre pour venir visser les tableaux dessus. C’était rigide et peu pratique.
Élise Loeillet, conservatrice du Musée Bonnat-Helleu, a rappelé que les œuvres allaient être déplacées régulièrement, elle nous a rappelé qu’un musée c’était vivant !
Alors, j’ai proposé une autre solution : mettre des plaques de bois derrière le placo sur toute la longueur des surfaces. Comme ça, ils fixent où ils veulent et rebouchent les trous ensuite.
Cela correspondait aux attentes d’un musée.
Finalement, c’était aussi un avantage pour la scénographie ?
Exactement. Les commissaires d’exposition peuvent placer et déplacer les œuvres comme ils veulent. Quand j’ai vu les plans initiaux avec toutes les hauteurs et les dimensions de feuilles métalliques prévues, j’ai pensé : « c’est un casse-tête chinois ». Avec le bois, tout est devenu beaucoup plus simple, pour nous comme pour eux.
Quelle a été la plus grande difficulté sur ce chantier ?
Il y en a plusieurs. D’abord l’accessibilité : travailler en hauteur, monter les plaques à 10 mètres de haut, les faire passer par les échafaudages… c’est très physique.
Ensuite, la préparation : il faut tout prévoir en amont pour éviter de bloquer l’équipe. Moi j’aime que tout soit carré, peut-être trop parfois, mais ça m’évite de perdre du temps.
Et mentalement, comment l’avez-vous vécu ?
Étonnamment bien. C’est la première fois qu’un chantier ne me prend pas la tête en dehors du travail. Avant, je cogitais le soir. Ici, j’ai profité du temps sur place pour réfléchir et organiser. Comme le chantier est immense, je pouvais placer mes gars sur les tâches simples pendant que je préparais les zones plus techniques.
Il vous tarde l’ouverture ?
Ah oui ! Bernard Beyt nous a dit qu’on serait invités, donc bien sûr que je veux voir le résultat fini. Parce qu’en réalité, nous, on ne voit jamais l’ouvrage terminé : on part avant la finition.
Je sais que des milliers de visiteurs du monde entier vont venir ici. Et ça, c’est une vraie fierté d’avoir pu contribuer à la renaissance de ce musée.
Justement, vous parlez de fierté ?
Oui, même si je n’aime pas trop employer ce mot. Mais quand l’équipe sortira d’ici, nous pourrons être fiers de ce que nous avons fait. Bien sûr, en tant que pro du bâtiment, je verrai toujours les défauts (rire). Mais en tant que visiteur, j’essaierai de regarder l’ensemble, la beauté du lieu… L’architecture est magnifique.
Avez-vous une anecdote à partager ?
Pas forcément, mais je retiens surtout l’osmose avec l’équipe. Les gars ne sont pas des machines, il faut créer une vraie relation humaine. Et j’ai eu la chance de n’avoir jamais besoin de lever la voix, ça s’est toujours bien passé.
Comment créez-vous cette osmose ?
Par des petits moments. Tous les vendredis, par exemple, on prend une heure pour partager un verre ensemble. Ça permet de parler autrement, de renforcer la cohésion et d’améliorer l’ambiance. Pendant le chantier, tu n’as pas le temps. Tu es focus.
On ressent un vrai attachement.
Oui, j’ai déjà demandé la même équipe pour les prochaines grosses échéances (sourire)
Quand tu entends tes collègues te dire : « Avec toi, on va à la guerre. Où tu veux, je te suis ! » (silence)
C’est trop bien !


